José Pinera, l’homme qui a assuré la richesse du Chili

Mercredi 9 décembre 2009, à 16h45, je me présente devant l’immeuble où j’ai un rendez-vous pour être le traducteur d’un entretien télévisé avec José Pinera. Alors que je réalise que la porte d’entrée de l’immeuble est fermée et que j’ai oublié le digicode d’accès, un homme traverse en trombe la rue de Rennes. Il veut profiter de mon passage pour accéder à cet ancien immeuble haussmannien. Il me demande, avec un accent étranger, la permission d’entrer avec moi. A ma grande stupeur, je découvre qu’il s’agit de José Pinera. Passablement agacé, il m’explique qu’il attend depuis vingt minutes au bas de l’immeuble.

Confus, je me présente comme devant être son traducteur de l’émission et que je n’ai pas non plus le code d’accès.

- Alors l’émission est foutue ! Je dois retourner à l’aéroport Charles de Gaulle où m’attend l’avion qui va me ramener cette nuit à Santiago du Chili.

Je demande à monsieur Pinera de bien vouloir patienter pendant que je vais demander un bottin téléphonique au restaurant McDonald voisin. Je suis décidemment très mal inspiré aujourd’hui. La réponse du manager de l’établissement est négative. Repassant devant monsieur Pinera, je lui dis que je me rends à la pharmacie voisine. Son impatience grandit. Une employée de la pharmacie à qui j’explique brièvement ma démarche, me donne le code d’accès qu’elle écrit sur un bout de papier. Je la remercie infiniment avant d’aller rejoindre monsieur Pinera. Il n’est plus là !

A une jeune fille adossée au mur mitoyen, je lui demande si elle a vu entrer une personne. Quand elle retire ses écouteurs, je lui repose la question.

- Oui, j’ai vu entrer deux personnes dans l’immeuble.
- Merci mademoiselle.

J’en déduis que monsieur Pinera a profité du passage d’une personne. Malgré ma fracture au talon droit, je monte le plus vite possible l’escalier en bois qui est couvert d’une épaisse moquette. Parvenu au bon étage, je reconnais la voix chaude de monsieur Pinera à travers la porte d’entrée. J’entre à mon tour dans l’appartement et présente mes excuses auprès de Claude Reichman pour ce contretemps. Après un verre d'eau offert par madame Reichman toujours attentive, l’émission va commencer aussitôt.

Nous prenons chacun notre place dans le petit studio aménagé. En raison de ma fonction de traducteur, je suis au milieu entre l’animateur de l’émission et l’invité. Monsieur Pinera, qui passe sa vie dans les avions, est habillé simplement d’un pantalon en velours marron côtelé, d’un chandail et d’une chemise blanche. En raison de la chaleur dégagée par les projecteurs du studio, il ôte son chandail mais il conserve à la main un exemplaire du Figaro pour une raison que j’ignore encore.

Le couple Reichman est bien rôdé. Madame filme et monsieur parle. Alors qu’elle lance le compte à rebours, j’essaie, de mon côté, de respirer normalement…

«Mesdames et messieurs, c’est aujourd’hui le numéro quatre-vingt deux de notre émission entre nous soit-dit et j’ai le plaisir de vous présenter aujourd’hui un homme qu’on n’a pas souvent l’occasion de voir en France…»

José Pinera est un personnage fascinant. Il comprend bien le français mais préfère s’exprimer en anglais. Il me corrige parfois dans le résumé que je fais de son exposé. Je l’observe du coin de l’œil. Il connaît toutes les ficelles du métier mais ce serait une erreur de ne s’attarder que sur la forme, comme c’est malheureusement le cas dans toutes les émissions politiques réalisées en France. C’est le contenu du message qu’il adresse, ce soir, aux Français qui est «capital.» (Un mot choisi à dessin pour le sujet qui nous intéresse)

Si la plupart des hommes politiques français s’accrochent désespérément au pouvoir alors qu’ils n’ont aucun programme ou même d’idée encore intéressante à défendre, ce n’est certainement pas le cas de José Pinera. Tout semble lui réussir dans une vie bien remplie. A trente ans, il entra dans le gouvernement du général Augusto Pinochet en tant que ministre du Travail et de la Sécurité Sociale. Il entreprit la plus grande réforme économique jamais réalisée dans le monde : la transition d’un système de retraites par répartition vers un système de retraites par capitalisation. Le 1er mai 1981, une date symbolique pour montrer que cette réforme était dans l’intérêt des travailleurs, la réforme fut lancée. Dès les premiers mois, des millions de Chiliens optèrent en faveur du nouveau système de retraites par capitalisation mis en place par José Pinera. Ce grand réformateur n’avait pas encore trente-trois ans révolus… Hormis quelques grands hommes comme Napoléon Bonaparte ou Alexandre le Grand, ils ne sont pas légion ceux à entrer dans l’histoire à un si jeune âge que José Pinera.

José Pinera est né le 6 octobre 1948 à Santiago. Son père était ambassadeur aux Nations Unies à New York et son grand-père fut longtemps l’attaché culturel de l’ambassade du Chili à Paris. Grand amoureux de la France et de sa culture, le grand-père resta dix-sept ans en poste à Paris alors que la tradition, dans ce métier, est de changer souvent de poste pour des raisons de sécurité nationale. Son père, qui s’appelle aussi José, fit ses études au lycée Janson du Sailly à Paris. Il ne découvrit le Chili qu’à l’âge de dix-sept ans. Bernardino Pinera, l’oncle de José, était archevêque.

Élevé dans une grande famille d’origine des Asturies en Espagne, José sut se montrer à la hauteur. Il obtint ses diplômes d’économie à l’université catholique du Chili. En 1970, alors que son pays se dotait d’un gouvernement communiste qui allait tout nationaliser sur son passage, José partit compléter ses études à la prestigieuse université américaine de Harvard. Nommé professeur assistant en 1974 à la même université, il préféra retourner au Chili, en 1975, enseigner à l’université catholique. Retour à la case départ ? Pas tout à fait. Travailleur infatigable et animé d’un bon sens qui fait défaut à beaucoup de gens érudits, il publia de nombreux articles et essais en sus de huit livres. Pour la qualité de ses travaux, il obtînt un degré honoraire de l’université Francisco Marroquin au Guatemala qui est, selon Milton Friedman, la meilleure université d’Amérique latine. Son activisme en faveur des thèses de l’école de Chicago le fit remarquer du pouvoir militaire qui avait renversé le gouvernement de Salvador Allende. En 1978, il entra au gouvernement alors qu’il n’avait pas encore trente ans.

José Pinera tenta de convaincre ses nouveaux collègues du gouvernement de l’importance d’une réforme des pensions. Face à ses exhortations, on lui répondait sans cesse : « Oui, d’accord : mais si ce problème a pu attendre trente ans, sans doute peut-on le laisser encore une semaine, un mois, voire une année ? » (1) Il mûrit son projet qu’il remit sur la table à l’occasion du 1er mai 1980. Dans un unisson rare, les forces de droite et de gauche firent barrage à son projet. «Touche pas à nos droits acquis !» fut le leitmotiv de la contre-réforme.

Le général Pinochet convoqua Pinera pour lui dire qu’il fallait suspendre son projet en attendant un moment plus propice. Le gouvernement chilien avait une autre priorité. La nouvelle constitution du pays devait être approuvée par référendum. Le 11 août 1980, la constitution fut plébiscitée par le peuple chilien. Ayant à l’esprit Churchill, «il ne faut jamais, jamais, jamais abandonner la guerre», Pinera s’empressa, le lendemain de ce référendum historique, de prendre un rendez-vous chez le général Pinochet. Il lui dit qu’il fallait profiter de l’euphorie du moment pour appuyer sa réforme de pension. Le général le suivit. Pinera, qui n’attendait que son feu vert, appuya à fond sur la pédale de l’accélérateur. Avec ses collaborateurs, il élabora le projet de loi dans ses moindres détails. Il fit voter la loi par le parlement chilien, le 4 novembre 1980, qui coïncidait avec l’élection de Ronald Reagan aux États-Unis. Heureux présage ! Et remettant le couvert, la réforme fut introduite le 1er mai 1981. Six mois étaient considérés une gageure pour faire sortir du néant des fonds de pension et des autorités de régulation. Mais il y parvint car il avait tout envisagé avant le feu vert du président.

Aujourd’hui, 95% des Chiliens disposent d’un compte personnel d’épargne retraite. Prudent et ne voulant pas soulever des espoirs infondés, Pinera avait misé sur un rendement annuel de 4% de l'épargne retraite ; il est de 9% ! Les irréconciliables se contenteront, pour leur part, d’une maigre retraite par répartition quand sonnera, pour eux, l’heure de la retraite couperet. Après tout, c’est le choix qu’ils ont fait. Les autres pourront choisir leur départ en fonction de leurs intérêts. Rien ne vaut la liberté !

La masse d’argent collecté par les fonds de pension chiliens par capitalisation représentent 80% du PNB du pays. Avec cette épargne abondante, l’économie chilienne est sur un trend de croissance de 7% par an depuis 1980, exactement comme l’avait prévu Pinera. Cerise sur le gâteau, le Chili n’a ni dette extérieure, ni dette intérieure. De leur côté, les pays européens qui ont choisi la voie du socialisme, croulent sous des montagnes de dettes. Au cours de l’émission télévisée, José Pinera brandit la couverture du Figaro montrant l’Acropole. La Grèce est la première à monter dans la charrette des condamnés ; l’agence de notation Fitch a dégradé sa note à BBB+. L’Espagne a reçu un avertissement de ces mêmes agences de notation.

Si José Pinera est sincère dans son désir d’offrir des conseils aux gouvernements qui le désirent, je ne peux m’empêcher de penser que le pays qu’il aime le plus après le sien, ait toujours refusé de l’inviter. Après le succès de ses réformes qui ont redonné la liberté à ses concitoyens, José Pinera n’a pas cherché, comme tant d’autres, à se cramponner au pouvoir. Il l’a quitté quand il s’est s’assuré que ses réformes ne pouvaient plus être remises en cause par la gauche lorsqu’elle retournerait, un jour, au pouvoir. C’est bien ce qui s’est passé. Malgré quatre alternances, le système de capitalisation des retraites lui a survécu. Comme me le disait Claude Reichman quand il m’a invité, José Pinera a une vision compréhensible pour tout le monde de la réforme qu’il a proposée au peuple chilien. C’est pourquoi elle a autant de succès dans le monde. A ce jour, trente pays l’ont adopté.

Pinera se considère comme un missionnaire qui va prêcher la bonne parole à ceux qui veulent bien l’entendre. Grâce à lui des millions de ménages dans le monde vont bénéficier d’une retraite décente. Si nous avons été privés de ses conseils, c’est parce que les énarques qui nous gouvernent, ne veulent surtout pas nous accorder de liberté. Leur pouvoir repose sur une forte fiscalité et une redistribution de la richesse non pas envers ceux qui en auraient réellement besoin, ce serait trop beau, mais envers les plus hargneux, hier, les communistes, aujourd’hui, les verts, demain les islamistes…

L’euphorie de José contrastait avec notre pessimisme pendant l’émission. Et pour cause ! L’avenir de son pays est radieux alors que le nôtre est sombre. Avec un président de la République omnipotent mais incapable de tracer un sillon droit dans le champ qu’il est censé labourer, on ne saurait espérer une bonne récolte.

Après l’émission, nous passâmes dans le salon où nous attendait un apéritif. Alors que la douce musique du champagne emplissait les flûtes que servait Claude, son épouse, feuilletant les pages du journal Le Monde, pointa un article sur la campagne présidentielle du Chili à José.
- Connaissez-vous Sebastian Pinera ? demande Annie.
- Oui, c’est mon petit frère, répond José.
Alors que nous savourons l’excellent champagne, José nous explique ce qui va se passer dimanche 13 décembre au premier tour de l’élection présidentielle. «Sebastian va arriver en tête. C’est normal car il est le seul candidat de la droite alors que la gauche est divisée. Pour le second tour, rien n’est joué.»
- Se peut-il que la gauche fasse l’union sacrée ? demande Claude.
- C’est possible, tout est possible, répond José en contemplant la flûte de champagne qui a une belle couleur jaune paille.
- Connais-tu Sarkozy ? demande José à Claude.
- Non. Pourquoi ? demande Claude
- J’aimerais bien le rencontrer. J’ai vu Lech Walesa, il y a quatre jours à Zagreb. Je lui ai offert mon livre. (Le gouvernement polonais a adopté partiellement le système de retraite par capitalisation)
- Et Chirac ?
- Non plus. Mais ma belle sœur a travaillé pour lui ; elle nous a donné ce champagne que lui avait offert Chirac.
- De quelle année est-il ? je pose la question à Annie.
- De 1978, répond-elle.
1978 est l’année où José Pinera est entré au gouvernement chilien. La suite, vous la connaissez un peu mieux à présent.

Il est sept heures. José, tout au bon champagne et à ses retrouvailles avec des amis français, a oublié l’heure. Je me lève pour donner le signal du départ. Avant le début de l’émission, je me suis proposé de l’emmener à la gare R.E.R la plus proche afin qu’il ne rate pas son avion. Faut-il encore qu’il n’y ait pas de grève sur la ligne ? A une employée de la R.A.T.P, je demande si la ligne B n’est pas affectée par la grève. Non. José est rassuré et moi aussi. A travers les dédales du métro, je le conduis jusqu’à son train. Il marche plus vite que moi qui souffre d’une fracture du talon.
- On ne se perd pas ? me dit-il, sur le quai, avant d’ajouter : « As-tu une carte de visite ? »
- Non, je n’en ai pas.
Avant de me tendre la sienne, il écrit à la hâte son adresse électronique personnelle. Le train, qui arrive, est un omnibus. Je fais part à José que le prochain, annoncé deux minutes plus tard, est peut être un express.
- Je préfère monter dans celui-ci, répond José.
L’homme, qui a visité quatre-vingt pays pour sa réforme, préfère assurer ce soir. Malgré ses soixante et un ans, il saute comme un cabri dans la rame. Espérons qu’avec une telle vivacité, il revienne conseiller notre pays dans la difficile transition qu’il devra affronter un jour. Le plutôt serait le mieux pour notre avenir !

En mai 2008, Richard Rahn, le président de «Institute for Global Economic Growth» écrivit dans les colonnes du Washington Post : « Si on vous demande de nommer la personne qui a offert la richesse et la sécurité au plus grande nombre à travers le monde, pourqui répondriez-vous? Beaucoup d’entre vous répondraient que c’est, en 1885, Otto von Bismarck, qui a introduit le premier service de sécurité sociale qui a servi de modèle pour la sécurité sociale américaine, et celle de nombreux autres pays avec la retraite à 65 ans. Non, Bismarck n’est pas la bonne réponse. La réponse est José Pinera. »

(1) Le Taureau par les Cornes de José Pinera, publié par l’institut Charles Coquelin

 

 

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